sexta-feira, 9 de maio de 2014

Ayrton Senna Da Silva, l'étoffe d'un héros


C’est encore un beau cadeau que nous fait aujourd’hui la journaliste Martine Carret. Après avoir partagé avec nous ses archives, Martine nous offre en exclusivité un article sur Ayrton Senna, le pilote qu’elle a côtoyé pendant plusieurs années sur les circuits de Formule 1, et qui nous fait encore vibrer vingt ans après sa disparition. Merci!

Ayrton Senna - Alain Prost - Ron Dennis - McLaren - Estoril 1988 - Portugal

Pourquoi 20 ans après sa mort, ce triple campeão suscite-t-il toujours autant d‘émotions, de tristesse et de soupirs ?

Par Martine Carret, envoyée spéciale de France-Soir sur les GP 1991-1997.

Il était rapide et sa monoplace dansait sous la pluie. Il se jouait des éléments, au volant de monoplaces parfois rétives, parfois dociles. Il les domptait. Sans les dominer. Car même si sa façon de piloter semblait parfois brutale, il y avait une dose de finesse contrôlée dans son pilotage.

Ayrton Senna était un pilote talentueux, certes, mais ce n’était pas qu’un pilote. Et je crois que la dimension qu’il a atteint aujourd’hui dans nos mémoires, nos souvenirs, émane de cette autre face.



Pourquoi de jeunes gamins qui ne l’ont pas connu, ou à peine, qui n’étaient même pas nés et ont découvert son parcours au travers de livres ou de films en parlent-ils avec émotion ?

Le récit de ses exploits ? Pas suffisant. Négligeable.



Tout bon metteur en scène de Hollywood vous dira que pour assurer le succès d’un film, un acteur de renom ne suffit pas. Il faut un environnement, une sauce, une alchimie. Il faut un storytelling. Un héros, une quête, des embûches, la face cachée du héros, son affaiblissement, la faute avouée, la reconquête, la rédemption. C’est ce qui a assuré le succès planétaire de Star Wars et de Harry Potter.

Ayrton et Alain se sont affrontés. Et aucune des victoires de l’un n’aurait eu la saveur qu’elle a eue sans la défaite de l’autre. Ils se nourrissaient chacun de l’autre. Ils étaient rivaux, mais complémentaires. Ce sont justement ces affrontements qui les ont ancrés dans la mémoire collective.

Parce que la victoire est infiniment plus belle lorsqu’elle est disputée, en face à face.

Tout a été suffisamment disséqué sur leurs exploits, leurs titres, leurs confrontations musclées. Il est inutile que j’ajoute quoi que ce soit là-dessus.

Humanoïdes

Je préfère vous parler de ce qui m’a interpelée en tant que professionnelle qui les a côtoyés quelques années. Ils se ressemblaient. Plus qu’ils n’avaient envie de se l’avouer d’ailleurs. Dès qu’on leur tendait un micro, ils avaient quelque chose à raconter. Ils pouvaient chacun vous décrypter chaque virage, chaque quart de millième de seconde perdue dans quelle courbe. Pas besoin de demander de confirmation à leurs ingénieurs, leurs analyses étaient toujours judicieuses. Leurs cerveaux étaient des mesures de télémétrie ambulante. Leurs corps étaient leurs monoplaces. Ce n’était pas des hommes, mais des pilotes qui vivaient leurs courses avec leurs tripes, avec leurs corps.

Lorsque Ayrton raconte à Monaco qu’il est sorti de sa monoplace en esprit et qu’il a visualisé la meilleure trajectoire, il n’y a rien de magique là-dedans. Il fait simplement un exercice de visualisation mentale, comme d’autres yogi le pratiquent, ou certains sportifs, notamment les apnéistes. Ayrton met toutes les chances de son côté pour gagner en se préparant, physiquement, mais aussi psychiquement.

En dehors de leur monoplace, ces deux hommes pouvaient s’exprimer sur d’autres sujets que la F1. Et c’est cela qui nous plaisait.

Entendre Mansell chaque dimanche victorieux de 92 nous dire après la course « I’ve done a fantastic job » et remercier sa femme commençait à devenir répétitif. Et je peux vous assurer qu’il était vraiment difficile de remplir le journal du lundi avec ces deux phrases.

Alain et Ayrton pouvaient disserter des heures durant sur leurs sensations en course, mais aussi sur d’autres sujets. On ouvrait les vannes. Boum… Le flot sortait. Et en plus des remarques intelligentes ! Avec une réflexion menée, avec du vrai contenu. Pas des phrases préformatées pondues par un service de marketing. Non, du contenu humain. Raconté par des pilotes qui étaient des êtres profondément humains.

Flash-back. En 1993, je suis à Monaco. Je dois remplir le journal du samedi. Monaco, un quotidien français. Vous imaginez la pression. J’ai l’intention de faire vivre un tour de circuit à Alain et qu’il me dissèque la piste, morceau par morceau. Sauf que… « Je ne vous parle pas ! » Je suis scotchée. « Le Small » comme on le surnomme vient de me mettre KO. J’apprends par son équipe qu’il refuse de parler à certains journalistes, furieux de notre traitement de la course précédente de Donington. En fait, je saurai plus tard qu’il n’a jamais lu mon papier (où je n’avais fait que donner la parole à ses mécanos mécontents) mais que son entourage lui a dit que… Je me retrouve donc sans article. Je fais le tour des yachts (oui, ca fait un peu « jet-set », mais toutes les équipes ont des bateaux). Personne. Ils sont au golf avec le Prince ou en sortie obligatoire avec sponsors. J’atterris dans le paddock. Branle-bas des Brésiliens qui ont rendez-vous avec Ayrton. Je me pointe sur le bout des ongles. J’ose demander si je peux espérer avoir quelques minutes avec lui… Il se confie en portugais. Je patiente. Si seulement c’était de l’italien ou de l’anglais ! Mais non. Je patiente encore. Les Brésiliens repartent. Je me dis que j’ai enfin ma chance. Il doit être 18h et je n’ai pas écrit une ligne. Je dois être blanche. Il me regarde : « Let’s go ». Et boum, les phrases s’enchaînent toutes seules. J’ai mon papier ! Il vient de sauver ma peau.

Ça c’était Ayrton, spontané, ouvert quand il en avait envie. J’ai couru jusqu’à l’horrible parking sous-terrain où était installée la salle de presse. Des murs de béton, pas de fenêtre. Épouvantable salle de presse, détestée par tous. Trois jours à Monaco pour être terrés dans un sarcophage de béton, avec des panneaux « Sens Interdit » au-dessus de nos têtes et des néons trop lumineux. Qu’importe, j’avais ma « une » du lendemain. Obrigada, Ayrton.

Destiny Day

Imola 94. On a tout de suite compris qu’on perdait un pilote, mais aussi un être humain d’une complexité extrême, un être fascinant. Pour les photographes, il était photogénique, surtout de profil. Brun, ténébreux sans être d’une beauté classique, il prenait la lumière comme certains acteurs savent accrochent la moindre lueur du soleil ou d’une bougie. La beauté n’a rien à voir avec la photogénie. Son intensité du regard et sa prestance étaient parfaites sur papier glacé.

Être journaliste sur un grand-prix, ce n’est pas juste savoir raconter des tours de piste et analyser des statistiques. Ce n’est pas raconter ce que le téléspectateur a vu dans son écran TV. Même si en l’occurrence, ce jour-là TF1 était en pause pub au moment de l’accident… Notre job, c’était de raconter les hommes au-delà de leur pilotage.

Et cela, des personnalités aussi fortes qu’Alain et Ayrton nous l’offraient avec générosité.

En 1995, lassée sans doute d’entendre égrener les mêmes banalités à la fin des courses qu’il domine de A à Z, je demande à Michael Schumacher ce qu’on peut offrir comme cadeau d’anniversaire à quelqu’un qui a déjà tout. Il est désarçonné. Me fait répéter. Réfléchit et me dit qu’il me répondra 15 jours plus tard. En fait, il n’a jamais su répondre à cette question.

On a tous un peu retrouvé de joie dans le travail lorsque Jacques Villeneuve est arrivé, facétieux, avec sa décontraction nord-américaine, ses cheveux décolorés, ses blagues. Au moins, on avait un personnage sympathique à interviewer ! Car en dehors de Jean Alesi et Olivier Panis, les discussions étaient restreintes avec Hakkinen ou Schumi.

Mais à ce jour, à part Platini peut-être et Rai qui m’ont apporté de belles interviews et de beaux souvenirs professionnels, je n’ai jamais récupéré l’intensité d’un dialogue obtenu avec Alain ou Ayrton.

Voilà, ce qui à mon sens les différencie des autres pilotes. Cette capacité à s’émerveiller et à s’intéresser à d’autres choses.

Lorsque Senna au Brésil 94 nous avait présenté son petit Senninha, le personnage de sa fondation, il était comme un gamin impatient devant un sapin de Noël illuminé. Fier de nous dévoiler ses projets humanitaires.

Certains cherchent à savoir qui est le plus grand pilote de l’histoire et blabla et blabla. Les débats sont infinis. Je ne m’y intéresse pas. Car j’ai eu la chance et l’immense privilège de croiser les hommes qui existent derrière les chiffres et les statistiques.

Après Imola, j’ai perdu l’enthousiasme de mon travail. Je traînais les pieds sur les GP. Surtout après l’accident de Wendlinger à Monaco. J’allais travailler la peur au ventre. Je n’étais pas préparée à écrire sur la mort en direct. Je voulais parler de la vie !

Et puis, un jour, je suis allée dans un grand jardin, bordé d’arbres centenaires. Autour, la circulation de São Paulo, mégalopole sale, bruyante, tentaculaire, polluée. Mais au cimetière de Morumbi, au milieu d’une pelouse jonchée de fleurs, le bruit ne m’atteignait plus.

J’ai regardé une pierre posée à même le sol. Ayrton Senna Da Silva 1960-1994. Une inscription « Rien ne peut me séparer de l’amour de Dieu. » Un oiseau s’est envolé d’un arbre. Je l’ai regardé partir. Et une étrange sérénité m’a envahie.

PHOTOS AYRTON SENNA - ALAIN PROST












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